mardi 28 janvier 2014

Partie 3 - L'autre côté de la porte




Une vague de bien-être, d'une espèce qui se faisait rare, roula sous les draps en même temps que Nicolas. Ses mains croisées derrière la tête cherchaient sous la taie d'oreiller la fraîcheur du côté qui n'avait plus l'empreinte chaude de son souffle. Enfant, il aimait retourner son duvet plusieurs fois dans la nuit pour retrouver cette sensation courte mais intense du frisson glacée qui accompagnait ce rituel nocturne. Il était de retour chez lui. Enfin seul.

Le réveil écorcha l'air. Nicolas ne bougea pas. Ce bruit inutile, d'ordinaire insupportable, qui arrivait toujours longtemps après qu'il se soit réveillé, évoquait à cet instant précis, son quotidien retrouvé. Il prit une profonde inspiration et eut l'impression de sentir chaque alvéole de ses poumons se déployer un à un sous l'afflux de l'air froid qui entrait par la fenêtre grande ouverte, malgré les bruits de la ville et malgré décembre.

Arrivé depuis samedi matin, il n'aurait pas pu dire depuis quand il dormait. Sans doute quelques minutes après avoir éparpillé ses vêtements sur le club de cuir noir de l'autre côté de la pièce. Ses chaussures, dont les lacets n'avaient pas été défaits, fièrement retournées, jetaient leurs reflets dans le vernis du parquet laqué quelque part entre le fauteuil et le lit.

Allongé sur le dos, le corps couvert d'un drap bleu, Nicolas fixait le plafond. Son œil droit portait, du haut de l'arcade sourcilière jusqu'au milieu de sa pommette, une longue ecchymose violacée dont les contours s'irisaient d'un jaune verdâtre.

* * *

Dans la salle de bain, où sa valise éventrée laissait s'échapper quinze jours de vêtements sales, il grogna. Le mitigeur, bien que sur le rouge, laissait s'échapper une eau à la température polaire accompagnée des borborygmes métalliques provenant du chauffe eau qui agonisait égoïstement.

Il renonça à l'idée de raser la barbe de trois jours qui assombrissait son visage aux traits tirés. Il saisit une serviette épaisse pour enlever la mousse à raser qu'il avait, avec un optimisme inconsidéré, étalé sur son menton. Abandonnant la serviette sur la vasque, il regarda la cabine de douche tel Hercule avait probablement du toiser le Cerbère. Mais aujourd'hui, l'eau ne l'empêchera pas de passer les portes de l'Hadès...

Pour détourner ses pensées de l'effet de l'eau glacée qui ruisselait sur son corps, il fit mentalement la liste des choses qu'il avait à faire : envoyer au service juridique les précontrats signés à Los Angeles, lire les derniers CRR des projets en cours, donner à Seb les consignes pour que les équipes se coordonnent sur les tâches que le gestionnaire avait basculé dans le rouge pendant son absence, rassurer son dernier client en lui servant une tape sur l'épaule et une ou deux phrases reçues de ses aînés et améliorées à force de pratique. "L'approche transverse mais néanmoins multifactorielle, que nous vous proposons, permettra de respecter le cahier des charges du projet et même d'y apporter des améliorations notables grâce à la pro activité des ressources engagées." Ces petites phrases indigestes passaient toujours bien avec une bouteille de Pommard et une viande saignante.

Il sortit de la douche et continua sa liste tout en attrapant le drap de bain : appeler le réparateur pour la chaudière, Karen pour s'excuser d'avoir manqué ce week-end chez ses parents à la campagne, ouvrir et trier quinze jour de courrier monté à son arrivée... Il enfila sa chemise qu'il laissa tomber sur son jeans. Enfin, il s'excuserait peut être pas quand même. C'était pas comme s'il était marié avec celle qui s'était autoproclamée, sans son consentement, "petite amie". Il la laissait croire, par lâcheté pensaient ses amis, par indifférence selon lui.

* * *

Depuis combien de temps était-il planté, dans la lueur blafarde du faible éclairage répandu par le ventre béant du réfrigérateur ? Assez longtemps pour constater qu'il était vide. La porte refermée, il se tourna, dans l'obscurité familière de la cuisine avec les gestes mécaniques de celui qui est sur son territoire. Il versa l'eau dans le percolateur. Mais force fut de constater que la boite à café était aussi vide que le reste.

Un paquet de céréales entamé coincé sous le bras et un verre d'eau glacée à la main, Nicolas s'affala dans le canapé alors que l'appartement silencieux résonnait encore du poids de ses pas sur le parquet de chêne. Il extirpa la console de jeu coincé sous sa cuisse dans un geste brusque. L'effet en chaîne déversa sur le sol, tel un fleuve sortant de son lit, les piles instables de magazines et de dossiers juste à coté de lui. Le désordre était pour Nicolas une seconde nature, comparable dans son cas à un sport de haut niveau. Il avait une vraie phobie des gens ordonnés jusqu'à souffrir physiquement dans les lieux où rien ne dépassait des étagères.

Il saisit son ordinateur portable et le posa sur ses jambes à moitié étendues sur le canapé. Alors que l'écran s'allumait, il plongea la main dans le paquet de céréales. Et la retira aussitôt d'un mouvement sec. Il était dit qu'il ne mangerait rien ce matin. Les extrémités de ses doigts étaient recouvertes d'une substance jaune, collante et à l'odeur acre. Il plongea instinctivement sa main dans le verre d'eau posé sur le sol. La curiosité, si commune chez ses semblables, allait-elle le pousser à regarder dans le paquet pour découvrir quel phénomène avait présidé à la formation de cette mélasse nauséabonde ?

Nicolas, pragmatique, avait pour conviction que les informations qui ne servent pas à le faire avancer, qui n'entrent pas dans l'un de ses domaines de compétences ou dans l'un des nombreux tiroirs de ses plaisirs n'ont aucune raison d'encombrer son esprit. Le paquet parti rejoindre la pile de magazines sur le sol pour y attendre silencieusement avec son secret jusqu'au jour où la femme de ménage passera faire ce pourquoi elle était payée.

* * *
En moins de trente minutes il expédia les affaires courantes. Même si son gestionnaire de messageries semblait persuadé du contraire, comme à chacun de ses retours, arborant son alarmiste "messagerie pleine". Mais Nicolas savait trier, comme seul un chef sait le faire. Si le message vient d'un collaborateur il te suffira de compter combien de copies de ce même message ont été envoyé en moins de vingt-quatre heure. En dessous d'une héroïque dizaine, c'est que le problème s'est réglé de manière spontanée en interne. Il te suffira de supprimer le reliquat indésirable. En dehors des messages signés de ton supérieur direct, il faut mettre dix raisonnables jours avant de répondre et uniquement en cas de relance.

Si un client qui n'envisage pas un contrat à cinq chiffres t’écrit, rien ne sert de répondre. Il te suffira de patienter jusqu'à ce que cet importun se décourage. Pour les plus hargneux, qui osent appeler pour rompre ton silence professionnel, accorde-lui quatre minutes orgasmiques de "je-ne-comprends-pas-comment-je-n'ai-pas-été-informé-plus-tôt-de-votre-demande" et tu finis par un prometteur 'je-vais-mettre-mes-meilleurs-éléments-sur-votre-dossier". Après quoi tu refiles le bébé aux managers juniors ou mieux aux stagiaires que tu pourras ensuite gratifier d'un "j'vous-fais-confiance-les-gars,-vous-êtes-les-meilleurs». Mais tu sais parfaitement qu'ils n'ont ni le temps, les compétences ou les moyens de satisfaire ce patron de PME familiale qui nuirait à la crédibilité de ton portefeuille client.

* * *

Nicolas avait quatre-cent-vingt-six messages en dehors de ceux automatiquement classés dans la rubrique spam. Il en supprima trois-cent-vingt-huit. Cinquante-six autres furent rapidement redirigés vers ses collaborateurs prolongés d'un impératif "URGENT-à traiter". Il mit en attente vingt-neuf qui n'avaient pas atteint les dix jours syndicales de maturation. Après ce filtrage méthodique, il répondit laconiquement aux treize messages restants. Ses envois validés, il se connecta à Facebook où il regarda sept vidéos contenant des chats miaulant des tubes sexy et onze bandes-annonces de film de super héros en collant. 

Son rire fit désordre dans l'appartement vide quand il visionna une parodie darkvadorienne que Sébastien avait tagué de son nom. Le maître de l'Etoile Noir errait dans les rayons d'un supermarché avant de déclamer son "Je suis ton père !" à une aubergine jaillissant d'une couche culotte. Mais ses zygomatiques en se soulevant se rappelèrent la douloureuse barrière bleue qui avait marbré son visage quelques jours plutôt. Il massa mécaniquement sa mâchoire en se levant, quand le clignotement du voyant du répondeur de son téléphone fixe attira son attention.

Trois messages en absence. Il savait d'avance que la voix de sa mère allait répandre ses litanies culpabilisantes sur la rareté des visites du fils prodigue. Il n'y avait bien plus que ses parents pour appeler sur cette ligne, fermement décidés à ne laisser aucun téléphone portable et autres ordinateurs franchir le seuil de la maison familiale. Il actionna la lecture avant de se préparer à partir.

* * *

Il écouta les messages d'une oreille distraite depuis l'entrée où la lumière du jour rampait lâchement au pied des murs gris. Il enfila sa parka et jeta une immense écharpe autour de son cou pendant que sa mère de sa diction parfaite égrenait son texte. " Bonjour Nicolas, c'est maman. Rappelle-moi quand tu as ce message". Il glissa son téléphone portable et son trousseau de clefs  au fond de l'une des immenses poches de sa veste. Il suspendit son geste, ce n'était pas dans l'habitude de sa mère d'être aussi brève. 

Il saisit le paquet d'enveloppes et fit un tri grossier entre les factures et les magazines. Une enveloppe sur laquelle un logo vert et bleu indiquait CHU Nord tomba soudain par terre. Elle était adressée à un certain J.Daman. Le second message vocal traversa le salon jusqu'à lui "Nicolas, rappelle moi sur le portable de ton frère, c'est important." La main de Nicolas se crispa en glissant le courrier de l'inconnu qui disparu dans les abysses de son sac. Il saisit la poignée de la porte et attendit le troisième et dernier message avant de sortir "Nicolas j'arrive pas à te joindre sur ton portable, tu pourrais décrocher. Tu fais chier ! Tu dois encore être en déplacement" C'était la voix de son frère. "Papa est mort cette nuit. Fais le nécessaire mais sois là demain !".

Nicolas garda la main sur la poignée.

"Papa est mort cette nuit. Fais le nécessaire mais sois là demain !"

Un fourmillement léger grimpa doucement le long de ses doigts. Était-ce du simplement au contact du métal froid dans la paume de sa main ?

"Papa est mort cette nuit. Fais le nécessaire mais sois là demain !"

Était-ce l'obscurité soudaine tissée par les nuages qui dehors faisaient légion face au soleil pâle de ce lundi de décembre ?

"Papa est mort cette nuit. Fais le nécessaire mais sois là demain !"

En une foulée rapide Nicolas traversa les quelques mètres qui le séparait de l'appareil. "Papa est mort cette nuit. Fais le nécessaire mais sois là demain !" Il se pencha sur la console de laque blanche. "Papa est mort cette nuit. Fais le nécessaire mais sois là demain !" Il saisit fermement les câbles électriques du téléphone, "Papa est mo...", et les arracha d'un geste sec. Au même instant une main gantée frappa lourdement à la porte d'entrée.

* * *

Il ferma les yeux. Un muscle oculaire sous sa paupière gauche se contracta sous l'effet d'un spasme répétitif. Il savait qui l'attendait de l'autre côté de la porte, comme tous les matins depuis vingt-et-un jours. C'était toujours le même visiteur, ici devant son appartement, dans sa voiture à chacun de ses déplacements, dans l'avion en partance pour Los Angeles, tous les jours devant chaque porte où il entrait, devant chaque restaurant dont il sortait, dans chaque rue qu'il traversait...


Il serra la mâchoire. Il prit une profonde inspiration et baissa la poignée.










dimanche 5 janvier 2014

Partie 2 - Le poisson rouge est mort



Poisson presque rouge © Belya Dogan 


Dans un cendrier noir, portant l'écusson dorée d'une marque de bière irlandaise, un poisson rouge finissait d'agoniser aussi promptement que lui permettait la lente asphyxie de ses branchies. Mais comme aucune mort n'est digne, une main alourdie de bagues multicolores se proposa d'envoyer l'animal agoniser dans l'obscurité d'une poubelle rutilante de chrome. Le regard de la jeune femme brilla de la satisfaction du devoir accompli quand les mégots et les capsules de Corona et de Guinness accompagnèrent le Carassius Aratus, panné de cendres froides, dans le compartiment des déchets non alimentaires pour y mourir hors de sa vue.

D'un mouvement sec, du richelieu à talon aiguille qui finissait sa jambe interminable, la jeune femme poussa les emballages de traiteur  japonais qui jonchaient le carrelage gris de la cuisine. Mais son zèle, qui semblait pourtant si prometteur, empala, sans vergogne, la pointe de son talon droit dans ce qui ressemblait - avec un gros effort d'imagination - à quelque chose qui avait du être un sushi au thon échoué sur le sol.  "Putain ! Beurkkk " dit-elle avec une expression de profond dégoût et levant la jambe elle se mit à agiter son pied avec énergie bien décider à rendre à ses chaussures, qu'elle portait pour la première fois, ce quelque chose de glamour qui excluait avec autorité toute adjonction de sushi.

Mais la volonté est une chose et les lois de la physique une autre. Et ces deux concepts ne se combinent pas toujours avec la synergie que l'on souhaite aux jeunes femmes promptes à remettre les choses de l'univers à la place où elles doivent être.  Appuyée contre le bord de l'évier où quelqu'un avait du jouer à Tétris avec la montagne de vaisselle sale, la jeune femme sembla oublier, une fraction de seconde, que le levé de jambe est un art délicat. D'autant plus, quand la coquetterie, par la hauteur d'un escarpin, soulève le talon d'une femme à plus de dix centimètres du sol.

Un "Merrrrrde" aussi long que la glissade échappa des lèvres recouvertes d'un "hiersoir" de gloss pailleté. Et le postérieur de l’apprentie ménagère, propulsé par les lois de la gravité sur les restes froids d'une pizza au pepperoni, entraîna avec lui le reste de sa personne jusqu'à la porte de la cuisine dont le sol n'avait visiblement pas apprécié d'avoir été désigné déchetterie officiel d'une soirée improvisée.

Accompagnée d'effluves de poisson rance et de bière amère, la patineuse se traîna jusqu'au salon pour aller s'échouer sur un immense canapé blanc. Indifférente - occupée qu'elle était par deux légitimes douleurs : l'une dans son corps,  l'autre dans quelque chose qui ressemblait à de l’orgueil - à l'homme dont le corps endormi occupait les deux autres tiers du canapé laissant cavalièrement disparaitre ses jambes par dessus l'accoudoir, elle se mit consciencieusement à geindre.

Insensible au sommeil des ses autres invités, échoués de part et d'autres de l'immense salon au plafond mouluré, et au désordre que la lumière crue du jour révélait sans fard, elle massa d'un mouvement circulaire sa cheville fine et délicate sous un bas qui ne l'était pas moins.

D'une dent, récemment blanchie dans un "bar à sourire", elle mordit sa lèvre inférieure, réprimant ce qui semblait être la pire douleur qu'elle n'eut jamais connu de sa courte existence. Mais le tableau n'eut pas été complet sans une tranche d'auto-affliction. Et des larmes, d'un calibre tout à fait respectable, vinrent rapidement balayer un restant de khôl smoky qui ourlait ses yeux bleu lagon au moment même où une main d'homme saisit sa cheville blessée.

"Lâche moi... j'ai trop mal ! Merde !"

Pour toute réponse, le jeune homme étendu à côté d'elle, les yeux encore mi-clos, resserra son emprise. La prisonnière tenta bien de ses doigts aux ongles rongés un geste, qu’on devinait être peu enclin à obtenir l'effet souhaité, de défaire l'étau qui enveloppait la malléole de son pied.

Sans relever la tête, le jeune homme murmura d'une voix qui offrait la rugosité des premiers mots après l'éveil : "Chuuuttt... Tu vas réveiller les autres !"

"J'm'en fous...  Ils ont qu'à se réveiller et ranger ce bordel. Faut que j'y aille. J'dois être à l'aéroport dans moins d'une heure !"

"Il prends pas le taxi, Papy ?" Défia le jeune homme un sourire mutin sur son visage encadré de boucles noires, pendant que sa main montait plus haut sur l'arrondi du mollet.

La jeune blessée, profitant de la liberté que lui rendait la main entreprenante, se leva dignement abandonnant le richelieu de cuir noir recouvert de riz sur le tapis rouge vif au pied du canapé. Et tout en balançant la masse de ses longs cheveux blonds vers son épaule droite, elle lança "C'est une surprise. Il m'a rien demandé !", avant de disparaître en claudiquant théâtralement dans le couloir qui menait à la salle de bain.

* * *

"Allo, oui ?.." Le téléphone coincé entre l'épaule et l'oreille gauche, la jeune femme, le pied droit posé sur un grand lit couvert d'une multitude de coussins et d'un jeté de lit "framboise écrasée", finissait d'étirer un bas couleur chair sur sa cuisse hâlée aux UV et enfin débarrassée des odeurs de sushi et de pizza par une douche brûlante.

Ses jambes maintenant galbées d’un mélange de soie et de lycra, et tout en vaporisant d’un geste quasi robotique le contenu d’un flacon noir griffé « Désire » de Dolce Gabbana, elle mitraillait  d’une voix qui montait, ostensiblement mais surement, dans les aigus " Salut toi,  j'ai failli pas reconnaître ta voix, T’es malade ou quoi ? Tu sais quoi ? Mon poisson rouge est mort ! Qu’est-ce que ça capte mal ! T’es à l’aéroport ? T’es encore à Los Angeles ? Faut qu’on se voit tu le sais hein… J’ai trop hâte !"

Elle jeta le flacon sur son lit et enchaîna par le passage en revue du contenu de son immense dressing. Le portable toujours dans le cou, poussant sa capacité d’attention au maximum de ses compétences, elle n’entendait qu’un mot sur deux des réponses de son interlocuteur, l’autre partie de sa vigilance monopolisée par le tribu qu’elle devait à la mode. Plusieurs cintres malchanceux, volèrent sur le lit derrière elle quant ils n’atterrissaient pas tout simplement au sol. Hautement  préoccupée par sa sélection vestimentaire, elle dodelinait de la tête poussant de bref " Ahhh, zut !" suraigus, ponctués de "Ca fait deux semaines qu'on s'est pas vu !" boudeurs destinés proprement à culpabiliser celui qui était à l'autre bout de son I phone.

Alors qu'elle semblait enfin avoir mit la main sur la pièce indispensable – une petite robe rouge trapèze  - pour vêtir ses courbes généreuses uniquement couvertes de son ensemble Aubade, et qu'elle exprimait sa déception à son interlocuteur "On devait passer le weekend end chez mes parents ! T’avais promis !", un bras d'homme saisit sa taille.

La jeune femme laissa glisser le téléphone sur l'épaisse moquette de la chambre à coucher. Mais nulle surprise dans cette maladresse. Non, parce que Karine, dans son sens inné de soi, n'était jamais surprise quand la vie lui apportait de jolies choses. Elle ne savait pas refuser un plaisir aussi impromptu soit il.

Et les mains de l'homme, dont la boucle de ceinture glacée se plaquait dans le creux de ses reins avec une exacte géométrie, apportaient, à n'en pas douter, une promesse de plaisir plus immédiate que sa conversation téléphonique.

Une bouche avide vint s'écraser dans le creux de son cou pendant que du pied elle chercha le téléphone d'où échappait un mince filet de voix qui s'arrêta net quand son orteil - avec une souplesse et une précision étonnante - effleura sur l'écran tactile le logo rouge.

"C'était Nicolas ? "  interrogea le jeune homme dont les cheveux noirs portaient encore les traces de sa courte nuit sur le canapé.

"Oui, pour me dire qu'il rentrait que tard ce soir. Ma surprise est gâchée !" répondit-elle boudeuse en se laissant porter par les bras puissants de son compagnon qui la posa sur l'appui de la fenêtre dépourvu de rideaux.

"Je comprends pas qu’il puisse délaisser ça ! " dit Sébastien tout en dégrafant le soutien gorge qui contenait difficilement un plantureux bonnet C.  La jeune femme, qui était depuis l'enfance très chatouilleuse, ne pu réprimer un grand rire qui, déployant sa gorge généreuse, plaqua son dos encore un plus contre la vitre.

Dehors la ville grouillait de son 11h30 d'un samedi ordinaire. Des rivières d'hommes et de femmes coulaient le long des trottoirs au pied de l'immeuble par ce froid matin de novembre. Les voitures avançaient orchestrés par les hoquets des feux tricolores.

Et si, par le plus grand des hasards, cet homme singulier en costume et en chapeau de feutre noir, sortant de la cabine téléphonique juste en face de l'appartement de Karine eu levé le regard trois étages plus haut, il aurait pu voir, à l'une des fenêtres, deux mains appuyées contre la vitre au milieu d'un épais halo de buée.

Mais l'homme ne leva pas la tête.

Il remontait la rue d'un pas tranquille et d'une allure régulière. Et même de dos, alors que sa silhouette quelconque se noyait dans la foule anonyme, on aurait dit qu’il était fort satisfait.